| septembre 2019 |
Thematis raconte l’histoire de lieux culturels pour mettre en valeur le patrimoine. Unicité, immersion et interactivité sont des aspects clés dans le développement d’une expérience de visite réussie. Pour y parvenir, on a parfois recours dans nos scénographies à une expérience digitale sous forme de jeu. Et pour ceci, on s’entoure de spécialistes, tels que nos partenaires et voisins : le studio Digital Kingdom.
Mais comment à partir d’une idée, aboutir à un concept de jeu digital adapté ? Quelles sont les étapes pour y parvenir ? Et qu’est-ce qui définit ou garantit sa réussite ?
La semaine dernière, Digital Kingdom nous a ouvert les portes de son royaume. Olivier Reutenauer répond à nos questions et explique la démarche de création de jeux pour des expériences de visite hors du commun.
Peux-tu nous parler de Digital Kingdom et de votre manière de travailler ?
Digital Kingdom a deux axes : un axe principal de mandats où nous travaillons pour des clients dans le domaine des Serious Game. C’est ce type de produit qui va se retrouver dans les musées lorsqu’on travaille avec Thematis. Et puis l’autre partie de l’entreprise c’est du jeu vidéo indépendant, donc des produits purement ludiques dont on s’occupe de la conception à la distribution. En fin de compte, malgré les deux activités différentes, le cœur de métier est le même : c’est le jeu.
Peux-tu nous en dire plus sur le Serious Game ?
Le Serious Game c’est l’utilisation des techniques du jeu pour faire de la communication, de la formation, du marketing. Majoritairement, nos produits sont digitaux après cela ne nous empêche pas de proposer un jeu de plateau par exemple.
Comment est-ce que vous choisissez la bonne technologie lors la conception du jeu ?
On n’est pas attaché à une seule technologie. On est capable de déployer des solutions de jeu sur des tables tactiles, des smartphones, des tablettes, mais aussi de la projection avec de la captation de mouvements, de la réalité virtuelle, de la réalité augmentée, etc… et on a des domaines d’expérience qui nous permettent en gros de tout faire. Pour nous, la technologie est un outil pour répondre à un besoin, celui du client.
Quelles sont les compétences au sein de votre entreprise ?
Notre équipe est complètement pluridisciplinaire. Le jeu vidéo nécessite des créatifs, des artistes, des designers, des développeurs informatiques, de la gestion de projets, etc… Et il faut aussi avoir des connaissances de type sociologique, de science de l’éducation, savoir comment s’adresser à un public cible donné, etc.
Vos projets touchent des domaines très hétérogènes. Comment vous gérez cet aspect pour proposer un jeu adapté ?
C’est vrai qu’on touche à des domaines extrêmement variés. Lorsque le sujet est pointu, on s’appuie sur le client pour créer un groupe de travail. Lorsque le domaine nous est inconnu, c’est un challenge mais pour le client on arrive avec un œil neuf et on peut facilement vulgariser le contenu et exprimer le côté utilisateur final, ce qui est un avantage pour eux.
Lorsqu’un client vous approche, quelle est la 1ère étape dans la démarche de travail ?
En général, le client qui vient chez nous a déjà en tête l’idée qu’il veut une solution avec du Serious Game. Il a des besoins en termes de communication, de message à faire passer, de public cible à toucher, parfois il a des considérations de type matériel, et installations. Notre premier travail est de trier ce matériel de base pour comprendre ce qui est prioritaire et potentiellement annexe. Et puis seulement à partir de là, on pourra produire du concept.
Une fois les conditions de base définies, comment procédez-vous ?
Notre force est de produire du concept assez rapidement. Une fois les conditions de base clarifiées et les problématiques soulevées, feuille blanche et go ! La première étape passe par des séances de brainstorming, on dégrossit le terrain pour poser les grandes lignes et des warnings. Puis, on affine pour proposer un mix de solutions qui correspond au cahier des charges établi.
Où trouvez-vous de l’inspiration pour fournir un concept ?
On tient compte de notre expérience, de notre culture, d’études scientifiques, de notre créativité, de l’inspiration qu’on peut trouver dans d’autres expériences. Les solutions se trouvent par le design et jouabilité et l’ergonomie adaptée au public et aux flux. Avec notre expérience, on est capable d’aborder toutes ces considérations. On sait aussi dimensionner nos projets par rapport au budget du client. Avec les outils à disposition, les possibilités sont tellement vastes qu’on est capable de proposer des solutions pour 20’000 comme pour 150’000.
Si on parle de public cible, de quoi faut-il tenir compte lors de la création du concept de jeu ?
La diversité des informations et le temps de jeu sont à considérer. Par exemple pour des ados, passer 1h derrière un IPAD c’est impossible. Le temps de captation est plutôt faible. Il faudra créer un jeu qui a un temps de jeu court en jouant sur sa modularité. On donnera une information transparente sous forme de texte court et peut-être avec humour afin de parler à l’utilisateur cible.
Une fois le concept défini, passez-vous directement à la production ?
L’idée c’est de toujours tester la solution de manière régulière et la plus complète possible pour la valider. C’est assez classique comme démarche, mais c’est comme ça qu’on va travailler jusqu’à une solution finale. Notre démarche de travail nous permet d’impliquer le client et de lui donner confiance car le produit qu’il reçoit au final est un produit testé et qui ne vient pas de nulle part. Effectuer des tests permet donc de cadrer la production. La plupart des clients voient le sérieux de notre approche et cela compte beaucoup, car pour certains le mot jeu vidéo a une connotation un peu « truc de geek dans une cave » loin des réalités du terrain ! ;-).
Concrètement, comment se passe la phase de test de concepts de jeux ?
Les play tests peuvent commencer de manière très basique avec des cartes papier où on propose différents graphismes, avec un schéma de questionnaire pour valider les choix. Puis, ça passe par du jeu, de l’observation. On a des systèmes de validation de solutions, basés sur la « theory of fun ». Il y a plusieurs étapes et la 1ère est de mettre le joueur test face au jeu et le laisser se débrouiller, pour voir s’il comprend le fonctionnement du jeu. C’est important car on peut perdre l’utilisateur avant de transmettre le message.
Ça arrive aussi que le client vienne tester le produit en phase de conception, comme avec Nathalie et Léa de Thematis qui sont venues tester la table interactive du Noirmont sur un écran tactile à l’horizontale, à une étape déjà avancée.
Une fois le produit validé, et mis en place, peut-on encore effectuer des modifications ?
On se donne la possibilité de faire des petites adaptations, mais qui sont de l’affinage uniquement. Par exemple, des mises à jour de logiciel qu’on peut faire à distance.
J’imagine que le domaine des jeux vidéo et du Serious Game évolue au fil des années, comment est-ce que vous prenez ça en compte en proposant vos solutions ?
Autant dans la technologie que dans les tendances jeux vidéo, c’est un métier où il faut être à jour. Mais nos clients ont surtout besoin de solutions robustes qui fonctionnent. Et pour cette raison, on ne propose en général pas la dernière technologie où il y a encore pleins de problèmes à régler. C’est un risque que ni le client ni nous ne pouvons prendre. Cela arrive plus rarement que ce soit une volonté du client de tester une solution plus technologique.
Est-ce que vous observez un changement quant à la réputation des jeux vidéo ?
Au début, on ne parlait pas ou peu de la partie de notre entreprise qui fait des jeux vidéo, parce que le jeu vidéo avait trop mauvaise presse. Alors que maintenant, ce sont nos produits jeux vidéo qui nous apportent beaucoup de visibilité par des articles dans la presse tel que PME magazine, le 24 heures, etc.
Alors selon toi, qu’est-ce qui fait qu’un Serious Game est réussi ?
Dans Serious Game, on a déjà la partie jeu. Je reviens à la « theory of fun »: le joueur doit avoir du plaisir à jouer et doit comprendre comment le jeu fonctionne. Il faut savoir « parler » au joueur. Pour la partie serious, l’utilisateur doit avoir compris le message qu’on veut faire passer. Si les utilisateurs ont passé un super moment, mais qu’ils n’ont rien appris, la mission n’est pas remplie.
L’environnement dans lequel le joueur va utiliser le Serious Game est aussi essentiel, car il impacte la manière de jouer ou même sa décision de jouer. Disons que la manière de mettre le jeu en scène va changer l’expérience et donc la succès du jeu. Il faut être conscient, par exemple, qu’en plaçant un jeu en public tout le monde voit la partie et que des utilisateurs risquent d’être réticents car ils se sentent observés.
Selon toi, est-ce que le Serious Game est une manière efficace d’apprendre ?
Il n’y a rien qui dit que c’est une solution miracle, mais elle permet d’apprendre d’une manière différente. Il n’y a aucune certitude, ce qui explique toutes les recherches à ce sujet dans la psychologie, les sciences de l’éducation, la science des jeux, etc. C’est fascinant !
Le fait de faire quelque chose qui nous implique est plus attractif et c’est là, selon moi, que le Serious Game fait une différence. On a aussi le côté social de passer du bon temps. Et on aime toucher et manipuler. Cela permet de varier les supports d’apprentissage. Pour moi, le Serious Game est avant tout une nouvelle manière d’apporter du contenu.
Pour terminer, quel est le plus grand challenge dans ce métier ?
Le challenge c’est de montrer aux clients qu’en combinant un jeu, un graphisme, une technologie et un sujet on a des possibilités infinies. C’est un métier très créatif, mais conditionné par les réalités technologiques et des clients. Le challenge pour Digital Kingdom est de combiner ces choses : il faut être créatifs, mais avec la tête sur les épaules.